Focus sur la grande nouveauté du nouveau droit des obligations : l’introduction de la théorie de l’imprévision en droit belge

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L’article 5.74 du nouveau Code civil, qui entrera en vigueur le 1ier janvier 2023, consacre pour la première fois en droit belge la théorie de l’imprévision, réclamée de longue date par la doctrine.

Cet article permettra aux parties de réviser le contrat en cas de survenance de circonstances imprévisibles, non imputables aux parties et postérieures à la conclusion du contrat, bouleversant l’équilibre économique contractuel.

Plusieurs conditions d’applications ont été prévues par le législateur :

  • Postériorité : de manière évidente, les circonstances doivent survenir postérieurement à la conclusion du contrat.
  • Non imputabilité : les parties ne doivent pas être à l’origine des circonstances survenues, devant être indépendantes de leur volonté.
  • Imprévisibilité : Les circonstances doivent être imprévisibles.

Cette condition doit s’apprécier de manière raisonnable, ne s’agissant en effet pas d’une condition d’imprévisibilité absolue. A titre d’exemple, une pandémie mondiale ou une guerre sont donc deux évènements imprévisibles.

La théorie de l’imprévision pourra s’appliquer concernant l’imprévisibilité elle-même mais également face aux effets de cette imprévisibilité. Cela signifie que la théorie de l’imprévision pourra s’appliquer sur les effets de l’évènement imprévisible « initial », étant eux aussi, imprévisibles pour les parties. A titre d’exemple, la fermeture obligatoire des lieux « publics » tels que les entreprises, restaurants, cinémas, etc. en raison de la pandémie de Covid-19 peut être considérée comme un effet imprévisible de la pandémie.[1]

  • Pas de prise de risque volontaire : dans l’analyse de l’imprévisibilité, il conviendra de prendre en compte la notion de risque. En effet, si une des parties prend volontairement un risque, les circonstances futures découlant de ce risque ne pourront pas être considérées comme étant imprévisibles.
  • Les circonstances doivent bouleverser l’économie du contrat. Cela implique un réel déséquilibre des prestations, une onérosité excessive. La conséquence de ce bouleversement étant que les prestations ne peuvent raisonnablement plus être exigées de la part des parties préjudiciées.[2]

Lorsque ces conditions sont remplies, les parties devront alors renégocier le contrat initialement conclu. Renégocier signifie adapter le contrat, de manière raisonnable, afin qu’il ressemble à ce que les parties auraient pu convenir si elles avaient été informées, dès le départ, du changement de circonstances. La renégociation laisse évidemment place à une marge d’appréciation dans le chef des parties.

En son dernier alinéa, l’article 5.74 du nouveau Code civil prévoit qu’en cas d’échec ou de refus des renégociations, le juge pourra être amené à adapter le contrat, sur demande de l’une ou l’autre des parties :

 « En cas de refus ou d’échec des renégociations dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande de l’une ou l’autre des parties, adapter le contrat afin de le mettre en conformité avec ce que les parties auraient raisonnablement convenu au moment de la conclusion du contrat si elles avaient tenu compte du changement de circonstances, ou mettre fin au contrat en tout ou en partie à une date qui ne peut être antérieure au changement de circonstances et selon des modalités fixées par le juge. L’action est formée et instruite selon les formes du référé ».

Enfin, il convient d’insister sur le fait que cet article est supplétif. Cela signifie que les parties pourront déroger à l’application de l’article ou le modéliser via une clause contractuelle. Ce qui risque probablement d’arriver…

Pierre HENRY
p.henry@avocat.be
+32 498 100 633

Laura WALOCHA
laura.walocha@avocat.be
+32 87 29 34 50


[1], « Le nouveau droit des obligations », sous la direction de B. KOHL et P. WERY, CUP, Volume 2016, octobre 2022, ANTHEMIS.

[2] Idem.