MARCHES PUBLICS ET COVID-19 : (RE)BELOTE…
Alors que les acteurs de la commande publique commençaient, sûrement mais doucement, à apprivoiser les conséquences de la crise sanitaire COVID-19 suite au premier confinement imposé par les autorités gouvernementales au mois de mars 2020 et à un retour « à la normale » décidé avant l’été, la propagation du virus a obligé les différents Gouvernements à devoir reprendre de nouvelles mesures.
Le Ministre de l’Intérieur, Annelies VERLINDEN, est ainsi intervenue par deux arrêtés ministériels du 28 octobre 2020[1] et 1er novembre 2020[2].
Quand bien même les restrictions et fermetures apparaissent moins drastiques au regard de la distinction, encore aménagée, entre les commerces essentiels et non-essentiels (quoique…), il n’en reste pas moins que les pouvoirs adjudicateurs, soumissionnaires et les adjudicataires doivent maintenir leurs réflexes pour ne pas perdre la partie.
Au regard d’une réglementation toujours aussi inflexible, les partenaires publics devront composer avec un certain bon sens, compte tenu également de l’urgence.
Abordons ici de brèves interpellations récurrentes.
1. En ma qualité de pouvoir adjudicateur, je suis amené à passer une commande de manière rapide, strictement nécessaire en raison de la crise sanitaire, et pour un montant important qui amènerait, en temps normal, à une publicité. A quelle procédure de passation puis-je recourir ?
L’urgence impérieuse autorise, dans une certaine mesure (et sans que cela ne soit imputable au pouvoir adjudicateur), le recours à la procédure négociée sans publication préalable, conformément à l’article 42, §1, 1° b) de la loi du 17 juin 2016.
Vous pourrez faire usage de cette procédure si vous ne pouvez respecter les délais exigés par la procédure ouverte, restreinte ou concurrentielle avec négociation en faisant état de circonstances imprévisibles.
Si l’achat de matériel sanitaire reste l’exemple-type, ayons à l’esprit que les pouvoirs adjudicateurs ont maintenant pu s’organiser durant les derniers mois pour pallier cette difficulté. Il faudra dès lors motiver davantage cette exigence.
2. Je suis pouvoir adjudicateur et publie mon avis de marché. La crise sanitaire redouble d’intensité et je crains de ne pouvoir recevoir des offres appropriées. Quels moyens ai-je à ma disposition ?
La législation vous autorise, d’une part, à reporter la date d’introduction des offres, mais aussi, une fois les offres reçues, à prolonger le délai de validité des offres moyennant l’accord des soumissionnaires.
Rien ne vous empêche aussi de renoncer à l’attribution du marché public moyennant une décision motivée (perte de la pertinence de l’objet du marché, crédits budgétaires insuffisants, etc).
3. Concentré sur d’autres urgences, le pouvoir adjudicateur n’attribue pas le marché dans le délai d’engagement proposé par le soumissionnaire. La procédure doit-elle être relancée ?
Non, lorsque le délai d’engagement éventuellement prolongé expire sans que le marché ne soit conclu, vous pouvez demander par écrit au soumissionnaire concerné s’il consent au maintien de son offre, et dans l’affirmative, et sans réserve de ce dernier, attribuer et conclure le marché.
4. Je suis adjudicataire et la crise sanitaire perturbe l’exécution de mon marché. Que puis-je faire ?
La législation sur les marchés publics contient des clauses de réexamen visées aux articles 38 et suivants de l’arrêté royal du 14 janvier 2013. Nous y renvoyons le lecteur.
En toutes hypothèses, vous êtres en droit de faire valoir des « circonstances imprévisibles » (38/9 R.G.E. – exemples au cas par cas : impossibilité de respecter la distanciation sociale, pénurie de matières premières, absence de main d’œuvre ou de sous-traitance, quarantaine médicale, etc.) pour obtenir la révision du marché (prolongation du délai d’exécution, autre forme de révision ou encore résiliation si préjudice très important).
Attention :
- Cette clause de réexamen est applicable de plein droit, même si non visée dans les documents de marché, pour les marchés passés depuis le 30 juin 2017. Pour les marchés antérieurs, l’adjudicataire s’en référera à l’article 56 R.G.E.
- En tout état de cause, obligation de dénoncer au pouvoir adjudicateur, endéans trente jours, par écrit ces circonstances imprévisibles et leur influence, même succincte, sur l’exécution du marché.
- Obligation ensuite pour l’adjudicataire de chiffrer son dommage :
- Avant l’expiration des délais contractuels pour obtenir une prolongation du délai d’exécution ou résiliation ;
- 90 jours à compter de la notification du procès-verbal de réception provisoire pour toute autre forme de révision ou l’obtention de dommages et intérêts.
- A l’inverse, le pouvoir adjudicateur veillera au respect des délais, ainsi qu’à contester la nature même d’une circonstance imprévisible pour se délier d’une éventuelle révision.
5. Je souhaite en ma qualité de pouvoir adjudicateur modifier certains pans d’exécution du marché suite à la crise sanitaire.
Vous pouvez, comme l’adjudicataire, faire valoir des circonstances imprévisibles pour autant que (38/2 R.G.E.) :
- La modification est rendue nécessaire par des circonstances qu’un adjudicateur diligent ne pouvait pas prévoir ;
- La modification ne change pas la nature globale du marché ;
- L’augmentation de prix résultant d’une modification n’est pas supérieure à cinquante pour cent de la valeur du marché.
Vous disposez également de la faculté d’user de l’application de la règle « de minimis » (38/4 R.G.E.) ou de la suspension du marché moyennant dénonciation endéans trentaine (38/12 R.G.E).
Enfin, de manière plus grave, si l’exécution du marché ne vous semble plus nécessaire, l’article 1794 du Code civil permet une résiliation unilatérale du marché pour autant que l’adjudicataire soit indemnisé de toutes ses dépenses, de tous ses travaux et de son manque à gagner.
6. Je suis adjudicataire et le pouvoir adjudicateur décide unilatéralement de suspendre l’exécution du marché. Ai-je un quelconque recours ?
Si le marché est passé à partir du 28 avril 2018, vous pouvez réclamer une indemnité financière correspondante pour autant que vous arriviez à démontrer que la suspension n’est pas due à d’autres circonstances auxquelles l’adjudicateur est resté étranger et qui, à sa discrétion, constituent un obstacle à continuer l’exécution du marché à ce moment. Pratiquement, la crise sanitaire empêchera de faire valoir des indemnités sur base de l’article 38/12 R.G.E. puisque la situation sanitaire s’impose également à l’autorité.
Par contre, pour les marchés passés entre le 1er juillet 2013 et le 27 avril 2018, vous aurez droit à des dommages et intérêts pour les suspensions ordonnées par le pouvoir adjudicateur lorsque leur ensemble dépasse un vingtième du délai d’exécution et au moins dix jours ouvrables ou quinze jours, selon que le délai d’exécution est exprimé en jours ouvrables ou en jours, pour autant que les suspensions ne soient pas dues à des conditions météorologiques défavorables et aient lieu dans le délai d’exécution contractuel (Anc. Art.55 R.G.E).
Gardez néanmoins toujours à l’esprit les délais de revendication.
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Au regard des incertitudes actuelles engendrées par la crise sanitaire, et avant de jouer leurs atouts, la concertation et le dialogue seront primordiaux entre tous les décideurs et exécutants.
Les présents conseils et observations n’étant que limitatifs et présentés de manière générale (sans détailler les exceptions), nous invitons toute personne intéressée à nous interpeller directement et restons à votre entière disposition.
Gaëtan BIHAIN
g.bihain@avocat.be
0495/62.76.16
Thierry WIMMER
t.wimmer@avocat.be
0499/32.10.34
[1] Arrêté ministériel du 28 octobre 2020 portant des mesures d’urgence pour limiter la propagation du coronavirus COVID-19, M.B., 28/10/2020, numéro 304, pp. 78132 à 78154.
[2] Arrêté ministériel modifiant l’arrêté ministériel du 28 octobre 2020 portant des mesures d’urgence pour limiter la propagation du coronavirus COVID-19, M.B., 01/11/2020, numéro 308, pp. 78924 à 78946.